This is a digital copy of a book that was preserved for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's books discoverable online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that 's often difficult to discover.
Marks, notations and other marginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book' s long journey from the
publisher to a library and finally to y ou.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prevent abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automated querying.
We also ask that y ou:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain from automated querying Do not send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a large amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attribution The Google "watermark" you see on each file is essential for informing people about this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are responsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can't offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
any where in the world. Copyright infringement liability can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps readers
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full text of this book on the web
at |http : //books . google . corn/
UC-NAtF
liir
$B H3 bM5
v<^
'ik^.
^v
1
i
* — >
LIBRARY
OF THE
UNIVERSITY OF CALIFORNIA.
l
r^v-^^
^
^_
^
\'>
*T
\
/
>
^
/
y
>
V
"\
X.
K
)
A
V
^
iY-
//
♦^
c-
/
.^
..^
^*^^
-r^=d,^GGO.tîie
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
TH. FLOURNOY
Professeur de Psychologie â la Faculté des Sciences
de Genève.
LES PRINCIPES
DE LA
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE
Extrait des Archives de Psychologie, n° 5, déc. 1902.
(Tome II, p. 33-57.)
Prix s t fp.
GENEVE
ÏL KiJNDiG, Editeur.
Libraire de l'Institut.
Paris : Schleicher Frères. — loxdres : Williams et Norgate.
i9o;i
Digitized by
Google
Digitized by
Google
TH. FLOURNOY
ProffSBÊur de PsycHilûgie A h Faculté d&s Sciences
de Genève.
LES PRINCIPES
DE LA
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE
Extrait des Archives de Psychologie, n* 5, déc, 1902.
(ToatE 11, p. 33^57.)
Prix ; 1 ft.
^ OFTHE
UNIVERSITY
GENÈVE
H. KiJNDic, Editeihi.
Libruira de rtnMîtiit.
PAHI8 : ScHLEïCMËR t^HERES. — LONDRES : WiLLIAMS ET NûRGATE,
1903
Digitized by
Google
Digitized by
Google
LES PRINCIPES
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE^
Par M. Th. Flou rnoy.
Messieurs,
En abordant l'étude des phénomènes religieux, cette branche
nouvelle et déjà féconde de la psychologie, je crois utile, afin d'éviter
toute surprise et tout malentendu, de vous indiquer d'emblée le
point de vue auquel nous nous plaçons et les principes qui nous
serviront de guides.
Ces principes ne sont point arbitraires. Ils le sont si peu qu'on
pourrait les déduire à priori de la nature même de la psychologie en
tant que science positive. Mais un tel exposé risquerait de vous les
faire paraître un peu en l'air et encore dépourvus de la consécration
pratique sans laquelle on ne se sent jamais bien sûr de la validité
réelle des conceptions théoriques. C'est pourquoi mieux vaut, ce me
semble, vous les présenter comme tirés par voie inductive des recher-
ches déjà existantes de psychologie religieuse, puisqu'aussi bien
nous en possédons quelques-unes d'excellentes, qui sont comme
autant d'applications concrètes de ces principes et permettent par
conséquent de les saisir sur le vif en les voyant à l'œuvre. Il est tou-
jours préférable en effet, pour bien connaître les idées directrices
d'une science, de les dégager de cette science déjà constituée ou tout
au moins commencée, plutôt que de les formuler à l'avance, abstrai-
tement et sans appui dans la réalité. C'est ainsi que le moindre com-
* Introduction à une série de 14 leçons, sur la Psychologie religieuse, faites
à l'Université de Genève, dans le cours de Psychologie expérimentale de la
Faculté des Sciences, au semestre d'hiver 1901-1902. En rédigeant pour les
Archives cette première leçon, j'ai laissé de côté divers exemples et dévelop-
pements oraux, et y ai par contre ajouté quelques considérations tirées de la
leçon de clôture. — • Il va de soi que la dénomination de Psychologie religieuse
n'implique aucun caractère religieux, pas plus qu'antireligieux ; c'est une
simple abréviation pour Psychologie de la religion ou des phénomènes
religieux.
Digitized by
Google
4 Th. Flournoy
merce avec les œuvres de Galilée et de Kepler donne un plus juste
sentiment de l'esprit et de la méthode des sciences physiques que la
lecture approfondie du programme magnifique, mais fait de chic,
que Bacon a cru pouvoir en tracer.
Les recherches de psychologie religieuse proprement dites, aux-
quelles je viens de faire allusion, sont assez peu nombreuses. Elles
se réduisent à une vingtaine de travaux récents qui nous viennent
presque tous d'Amérique, et dont vous ne trouverez encore aucune
mention dans les manuels ou traités les plus répandus de la psycho-
logie contemporaine. C'est même à peine si, à lire ces derniers, on
se douterait qu'il existe dans l'âme humaine une chose telle que la
religion : les uns lui consacrent au plus deux pages*, les autres
l'ignorent entièrement ou n'en disent que quelques mots en passant,
au point qu'on en cherche vainement l'indication dans la table ou
l'index analytique des matières^. Il peut sembler étrange au premier
abord qu'une discipline qui se réclame de l'observation et de l'expé-
rience, comme la psychologie moderne, ait mis un tiers de siècle à
découvrir l'existence d'un ordre de manifestations mentales tenant la
place que l'on sait dans l'histoire de l'humanité. L'explication de ce
fait paradoxal se trouve sans doute dans la grande différence de
tempérament, je dirais presque l'incompatibilité d'humeur, qui
sépare d'ordinaire les esprits scientifiques et les âmes religieuses : les
premiers étant peu enclins à s'occuper d'un domaine qui ne leur dit
pas grand chose faute d'expériences personnelles suffisamment mar-
quées, les secondes n'éprouvant qu'une sourde répugnance pour un
genre de recherche qui leur semble une profanation à l'égard de ce
qu'elles considèrent comme leur trésor le plus sacré. Quoi qu'il en
soit, cette défiance ou cette ignorance réciproque, dans laquelle la
psychologie scientifique et la religion se sont trop longtemps can-
tonnées l'une vis-à-vis de l'autre, ne pouvait subsister toujours.
^ Par exemple: Hôffding, Esquisse d'une Psychologie fondée sur l'expérience^
trad. franc., Paris» 1900, p. 350-352. — Sergi, La Psychologie physiologique,
Paris, 1888, p. 355-357. — Wundt, Grundzuge der physiol. Psychologie, 4'^
Aufl., Leipzig. 1893. t. II, p. 522-524.
* Entre autres Baldwin, Handbook of Psychology, 2 vol., Londres, 1890-1891.
— James, The Principles of Psychology, 2 vol., New-York, 1890. — Kùlpe,
Grundriss der Psychologie. Leipzig, 1893. — Stout, A manual of Psychology^
Londres, 1899. — Titchener, An (hitline of Psychology, 2® édit., New- York,
1897. — ZiEHKN, Leitfaden der physiologischen Psychologie^ 3*® Aufl., Jena,
1893. — Quelques-uns de ces ouvrages touchent cependant à la religion à
propos d*autre chose; p. ex. Baldwin, t. II (Feeling and Will), p. 153, 156,
etc. ; et James, t. II, chap. XVI et p. 579, etc.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 5
D'une part, les savants les plus positivistes devaient finir par se
rendre à l'évidence que leur indifFérence personnelle à l'endroit du
phénomène religieux n'était pas une raison suffisante d'en mécon-
naître l'existence en tant que fait ; car, comme l'a excellemment dit
Ribot, « même en poussant les choses à l'extrême, en admettant que
toutes les manifestations du sentiment religieux ne soient qu'illusion
et erreur, il n'en reste pas moins que l'illusion et l'erreur sont des
états psychiques et à ce titre doivent être étudiés par la psychologie*. »
D'autre part les amis de la religion — en particulier les ecclésiasti-
ques, de plus en plus frappés de la froideur ou même de l'hostilité
croissante des masses envers la religion entendue comme dogme ou
rite imposés du dehors — ont dû s'avouer que si elle possède vrai-
ment quelque réalité, cette réalité doit être avant tout psychologique,
une donnée de vie intérieure, donc expérimentale en quelque mesure
et capable de soutenir l'épreuve d'un examen scientifique. Et c'est
ainsi qu'on voit enfin aujourd'hui des théologiens^ et des psycholo-
gues se trouver à peu près d'accord et rivaliser de zèle pour tenter
l'application des méthodes empiriques aux phénomènes de cons-
cience de l'ordre religieux.
Peut-être objecterez-vous à cette prétendue nouveauté de la psy-
chologie religieuse que, sauf le mot, les hommes en ont toujours fait,
preuve en soit les analyses si profondément fouillées que les grands
mystiques nous ont laissées de leur vie intérieure; qu'au surplus il
existe depuis longtemps, sous le nom d'Histoire des Religions, toute
une littérature strictement scientifique qui va s'enrichissant chaque
jour grâce aux recherches des archéologues, des philologues, des
anthropologistes; et qu'enfin le terme même de psychologie figure
dans le titre de nombreux ouvrages savants consacrés au problème
religieux. — Cela est parfaitement exact, et je n'ai garde d'oublier tout
ce que le psychologue contemporain peut trouver de travail déjà fait
et de matériaux accumulés pour lui dans les œuvres existantes.
Cependant, si les confessions ou autobiographies religieuses des
temps et des milieux les plus divers constituent souvent d'admirables
^ Ribot, La Psychologie des sentiments, Paris, Alcan, 1896, p. 297.
* Qu'il me soit permis de citer à ce propos les noms de deux de mes con-
citoyens dont l'enseignement oral, en divers milieux, a beaucoup fait à Genève,
ces dernières années, pour déthéologiser et psychologifier la religion (pardon
des néologismes !). Je veux parler de M. Frommel, professeur de dogmatique
à l'Université, qui a récemment donné à ses étudiants un cours spécial sur la
Psychologie de la Conversion (paru en partie dans la revue Foi et Vie, janvier
à avril 1901) ; et de M. Louis Perrière, dont il serait bien à souhaiter que les
conférences si profondément originales et suggestives fussent bientôt publiées.
Digitized by
Google
6 Th, Flournoy
documents, ce ne sont encore que des documents, des pierres d'at-
tente, indispensables pour l'édifice futur, mais qu'il ne faut point
confondre avec la mise en œuvre, le travail d'organisation systéma-
tique qui sera le fait de la science proprement dite. Quant à l'Histoire
des Religions, elle est certainement la sœur ainée de la psychologie
religieuse, mais elle ne saurait la remplacer; bien loin que l'une
puisse tenir lieu de l'autre, l'avenir en fera de plus en plus deux col-
laboratrices étroitement unies et en échange perpétuel de bons pro-
cédés : l'histoire, étudiant la religion objectivée et matérialisée dans
ses produits sociaux (cultes, mythes et dogmes, institutions ecclé-
siastiques, etc.), apportera à la psychologie les renseignements indis-
pensables pour reconstituer la vie religieuse intime des générations
éteintes ; et en retour la psychologie, qui a pour métier de saisir sur
le fait, en leur réalité immédiate, les secrets de la conscience indivi-
duelle, fournira par là l'explication intérieure et la véritable clef de
toutes ces manifestations dont l'histoire contemple le déroulement
du dehors. Pour ce qui est enfin de certains ouvrages, souvent de
haute valeur, qui portent l'étiquette psychologique*, nul doute que
leur contenu ne réponde en une certaine mesure à cette qualification
et que le psychologue n'ait beaucoup à y puiser; mais le but général
qu'ils poursuivent ou l'esprit qui les. anime, pour légitimes d'ailleurs
et respectables qu'ils soient, obligent néanmoins à les classer sous
d'autres rubriques, par exemple dans la théologie, l'histoire des
religions, ou \di philosophie religieuse — cette dernière, disons-le une
fois pour toutes, étant aussi différente de la psychologie religieuse,
que la philosophie de la nature et la métaphysique le sont de l'astro-
nomie, de la physique, ou de quelque autre science particulière que
ce soit.
Permettez-moi donc de m'en tenir dans ces leçons, sauf digres-
sions éventuelles de côté et d'autre ou recours à des observations
inédites, au petit nombre de travaux qui me paraissent constituer,
par excellence, les premières assises d'une véritable psychologie
religieuse, en ce que ; 1** à la différence d'un simple document, ils
s'efforcent par voie d'enquêtes, de comparaisons, de statistiques, de
dépasser le niveau des faits bruts ou purement individuels pour
* Par exemple : Vorbrodt, Psychologie des Glaubens, Gôttingen, 1895. —
KocH, Die Psychologie in der Religionswissenschaft, Freiburg i. B. , 1896. —
Sabatier, Esquisse d'une philosophie de la religion d'après Ta psychologie et
l'histoire, Paris 1897. • — Runze, Die Psychologie des ifnsterblichkeitsglauhens
und der Unsterblichkeitsleugnung, Berlin, 1894. — Joly, Psychologie des Saints,
Paris 1897. — Pacheu, Psychologie des Mystiques, Paris 1901. Etc.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGÏE RELIGIEUSE 7
s'élever à quelque vue d'ensemble, à une ébauche de classification
ou de lois ; 2** ils ne se proposent pas d'étudier les produits extérieurs
et sociaux de la religion, mais la vie religieuse elle-même, envisagée
du dedans, telle qu'elle se déroule dans la conscience personnelle du
sujet; et 3^ leur souci dominant est celui de la vérité purement scien-
tifique, non de l'édification pieuse ou de la défense d'une thèse (soit
positive, soit négative) de théologie ou de philosophie*.
I
Le premier point qui me frappe dans la comparaison de ces tra-
vaux, c'est qu'ils laissent entièrement de côté la question de la vérité
objective de la religion.
Comme vous le savez, toute expérience religieuse un peu accusée
engendre, chez celui qui l'éprouve, la croyance à un ordre de réalités
supérieures, la certitude de l'existence de Dieu — ou des dieux, ou
d'êtres spirituels quelconques, ou plus vaguement encore, comme
dans le bouddhisme primitif, d'une loi ou vérité suprême — bref, la
conviction personnelle d'un quelque chose qui dépasse et domine
notre univers visible, mais qui se révèle et se laisse comme toucher
au doigt dans les données immédiatement vécues de la conscience
religieuse. De même que nos perceptions sensibles possèdent un
« coefficient de réalité externe^ », une sorte d'indice de valeur indé-
pendante, qui nous fait croire à l'existence de leurs objets, tables,
bêtes ou étoiles, de même on peut dire que les phénomènes religieux
possèdent aussi un coefficient de réalité ou un indice de valeur, mais
de valeur ou de réalité transcendante^ c'est-à-dire dépassant le monde
ordinaire perceptible à tous les hommes, et échappant par consé-
quent à ceux qui n'ont point fait ces expériences spéciales. Vous
savez également quelle pomme de discorde a été, dans l'histoire de
l'humanité, cet indice de valeur, qui varie considérablement ou
s'attache à des choses fort différentes suivant les individus, mais
*• Les travaux dont je me suis le plus servi et que j'ai pris spécialement en
considération dans mon cours de 1901-1902, sont ceux de Coe, Daniels, G. -S.
Hall, Hylan, James, Andr. «Lang, Leuba, Marillier, Murisier, Ribot, Royce et
Starbuck. (En ce qui concerne James, son volume The Varieties of religious
Expérience, Londres 1902, n'avait pas encore paru, mais le contenu de sa
première série de « GifFord lectures » m'était connu par les comptes rendus
qu'en avait publiés un journal quotidien d'Edimbourg, The Scotsman, mai et
juin 1901.)
' Voir p. ex. Baldwin, The coefficient of external reality. Mind, XVI (1891),
p. 389.
Digitized by
Goo^Çi
8 Th. Flournoy
dont chacun s'estime être le seul juge non seulement pour lui-même,
ce qui est parfaitement légitime, mais encore pour autrui, ce qui est
tout à fait abusif et a été la cause de malheurs sans bornes. Point
n'est besoin d'évoquer en détail devant vous les douloureux conflits
d'opinions théologiques et métaphysiques, les flots d'encre et de sang
répandus sur les champs de bataille de la philosophie et des guerres
de religion, qui ont découlé de ce fatal coefficient de réalité trans-
cendante par le fait que l'homme a la manie d'en vouloir imposer la
reconnaissance à ses semblables sans s'inquiéter de savoir s'ils l'ont
également éprouvé. Nous retrouvons encore un écho de ces luttes,
pacifié et bénin comme il convient à des penseurs civilisés, dans les
joutes auxquelles le problème de la « connaissance religieuse » et de
ses fondements continue à donner lieu au sein de la théologie pro-
testante contemporaine.
Si je vous rappelle cette importance qu'a prise de tous temps la
question de la vérité absolue de la religion, et de la nature des réali-
tés objectives auxquelles elle croit, c'est pour faire d'autant mieux
ressortir le fait que cette question ne tient aucune place quelconque
dans les travaux de psychologie religieuse dont nous nous occupe-
rons. Tous leurs auteurs, par une sorte de convention tacite, prati-
quent ce que j'appellerai le principe de /'Exclusion de la Transcen-
dance. — Exclure quelque chose ou quelqu'un ne signifie point le
supprimer en soi, le nier absolument, mais simplement lui fermer
la porte au nez, le renvoyer de là où l'on n'en a que faire. La psycho-
logie religieuse ne rejette point, pas plus qu'elle n'affirme, l'existence
transcendante des objets de la religion; elle se borne à l'ignorer et à
écarter un problème qu'elle estime n'être pas de son ressort. Pour la
psychologie en effet, dit encore Ribot, « le sentiment religieux
est un fait qu'elle a simplement à analyser et à suivre dans ses trans-
formations, sans aucune compétence pour discuter sa ç>aleur ob/ectii^e
ou sa légitimité^. » Les mots que je souligne répondent exactement à
ce que je veux dire par l'exclusion de la transcendance. Je ne me
souviens pas d'avoir Rencontré cette idée aussi nettement exprimée
chez les auteurs américains, pas plus au reste qu'ils ne précisent* ce
qu'ils entendent par la religion. Ils sont gens trop pratiques pour
perdre leur temps à des définitions*, formulations de principes, et
* Ribot, loc. cit., p. 297.
' Sur les innombrables définitions de la religion proposées par les auteurs
— et sur leur inutilité — voir les bonnes remarques de Leuba, qui déplore toute
la peine et le temps qu'on a dépensés à vouloir déterminer ainsi l'essence
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 9
autres bagatelles de la porte auxquelles s'arrête l'esprit français dans
son amour souvent exagéré de la clarté. Mais s'ils ne répudient pas
explicitement le problème de la transcendance, en fait ils ne l'abor-
dent point dans leurs travaux, et cela revient au même.
Cette abstention, réfléchie ou instinctive, part d'un sentiment très
net des conditions mêmes d'existence de la psychologie religieuse en
tant que science'positive. Il est clair en effet que c'en serait fait d'elle
et de son avenir si elle se laissait entraîner dans les tourbillons de la
métaphysique ou de l'épistémologie, et devait, pour étudier les phé-
nomènes religieux, prendre parti entre ceux qui admettent l'existence
de Dieu ou d'un monde transcendant, ceux qui n'y voient que pures
illusions de la conscience subjective, et ceux qui prêchent une pru-
dente indécision à cet égard, sans parler de la gamme des compromis
et nuances intermédiaires. Tout comme les autres sciences particu-
lières — dont l'existence et les progrès sont subordonnés au rejet des
problèmes, insolubles pour elles, concernant l'essence intime, la fin
dernière ou la cause première des phénomènes qu'elles étudient —
la psychologie religieuse ne peut se fonder et avancer qu'à la condi-
tion d'éviter résolument, en les renvoyant à la philosophie, les ques-
tions insidieuses où elle risquerait de s'enlizer irrémédiablement dès
l'abord. Bien entendu, il reste permis à chacun de ceux qui la culti-
vent d'avoir sa conviction personnelle sur ces problèmes réservés ;
car pour être psychologue on n'en est pas moins homme, c'est-à-dire
rempli de préférences métaphysiques, avouées ou non, dans un sens
ou dans un autre. Mais ces opinions individuelles sur l'essence de la
religion et la réalité d'un monde invisible, n'ont pas plus à interférer
chez le psychologue avec ses recherches d'ordre scientifique, que
l'dpinion particulière d'un physicien sur l'existence ou la non-exis-
tence en soi du monde matériel ne saurait contrecarrer ses travaux
de laboratoire.
Est-il nécessaire d'ajouter, qu'en excluant les problèmes méta-
physiques auxquels donne lieu le coefficient ou sentiment de trans-
cendance, la psychologie ne cesse pas pour cela de constater le fait
même de ce sentiment et de l'observer aussi fidèlement que possible,
générale de la religion, au lieu d'en étudier les processus psychophysiologiques
concrets et d'en rechercher le principe en quelque sorte «germinal». Leuba,
Introduction to a psychologicaL Study of Religion \ The Monist, vol. XI (janv.
1901), p. 195. On retrouve la même idée, de la futilité de toutes les définitions
de la religion mises en regard de l'extrême complexité et diversité des expé-
riences religieuses, dans James, The Varieties of religions Expérience, Londres,
1902, p. 27.
Digitized by
Google
10 Th. Flournoy
avec toutes ses nuances et variations, comme une donnée mentale
faisant partie intégrante de l'expérience religieuse. Ce serait en effet
mutiler arbitrairement cette dernière que d'omettre la conviction de
réalité supérieure, l'impression de valeur et de signification objective,
dont elle est accompagnée ou suivie dans la conscience du sujet. La
description, par exemple, d'une extase, d'une vision, d'une transfor-
mation intérieure — ou simplement du sentiment de sainte majesté
et d'autorité absolue dont s'auréole chez beaucoup l'aperception du
Devoir — resterait incomplète si l'on n'y indiquait pas, autant que
faire se peut, jusqu'à quel point celui qui a éprouvé ces phénomènes n'y
a vu qu'un simple accident subjectif dépourvu de signification, ou,
au contraire, les a pris au sérieux comme les marques évidentes, la
révélation en sa vie personnelle, d'un ordre de choses invisible. Seu-
lement la psychologie religieuse, en enregistrant ces jugements de
transcendance, implicites ou formulés, s'abstient soigneusement de
les juger à son tour. Elle adopte à leur endroit la neutralité des
Facultés universitaires, qui autorisent et reconnaissent l'impression
des thèses inaugurales de leurs élèves, mais « sans prétendre énoncer
par là d'opinion sur les propositions qui y sont contenues, » Le psy-
chologue aussi reconnaît à titre de faits intérieurs, mais en se gardant
bien de les condamner ou de les approuver, toutes les appréciations
que les âmes religieuses se sentent contraintes de porter sur leurs
propres expériences intimes. — La même remarque peut s'appliquer
aux idées, représentations, et conceptions intellectuelles quelconques
au moyen desquelles le sujet formule ou s'explique à lui-même ce
qu'il a éprouvé. Il incombe à la psychologie, cela va sans dire, d'élu-
cider la nature et l'origine de tous ces systèmes d'images et de no-
tions interprétatives en les rattachant dans la mesure du possible à
l'influence de l'éducation reçue, aux souvenirs des lectures et des cé-
rémonies, à la suggestion des idées régnantes, etc. Mais ici encore
elle se gardera bien de prendre position pour ou contre la valeur abso-
lue, la signification transcendante, attribuée soit par le sujet, soit par
son entourage, à tout ce symbolisme imaginatif et intellectuel intime-
ment soudé à l'expérience religieuse elle-même.
Pour illustrer par un exemple ce qui précède, prenons, si vous
voulez, le cas de Jacob s'écriant, au réveil, après son fameux songe
de l'échelle : «Certainement l'Eternel est en ce lieu, et je ne m'en
doutais pas* ! » Plus d'un lecteur, à ce vieux récit, se demande invo-
* Genèse, chap. XXVIII, versets 16 et suivants.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 11
lontairement si le futur patriarche avait tort ou raison de conclure
ainsi de son rêve à la présence réelle de TEternel. Que va répondre
la psychologie à cette question ? — Rien du tout. Elle se gardera bien
de dire, avec le théologien scolastique esclave du texte sacré (lequel
est d'ailleurs muet sur ce point), que Jacob ne se trompait pas et que
son rêve venait évidemment de l'Eternel. Elle ne dira pas davantage,
avec le dilettante moderne frotté de physiologie, que le pauvre Jacob
a été victime d'une illusion, assez excusable d'ailleurs en un temps
où l'on ne savait pas encore que les songes sont l'incohérent produit
du métabolisme nocturne des neurones corticaux. Elle ne prendra
pas même la peine de se récuser en alléguant le non liquet du doute
philosophique sur un point où l'Eternel, en définitive, aurait seul
qualité pour répondre en pleine connaissance de cause. Non, la psy-
chologie ne répondra rien dé tout cela, mais faisant la sourde oreille
à une question qui ne la concerne point, elle notera simplement sur
son calepin : « Jacob raconte avoir fait tel songe frappant. Soit. Et il
affirme en outre qu'au souvenir de son rêve il n'a pu se défendre de
croire que l'Eternel était réellement présent, en conséquence de quoi
il a dressé une pierre au dit lieu. Dont acte. » Puis elle se mettra en
quête de cas analogues, soit dans la vie de Jacob, soit chez d'autres
individus, et recherchera toutes les circonstances externes ou in-
ternes, antécédentes, concomitantes ou subséquentes, qui peuvent
avoir quelque connexion prochaine ou lointaine, directe ou indirecte,
avec l'expérience psychologique dont il s'agit ; bref, elle se livrera à
la petite cuisine accoutumée de toute investigation expérimentale,
conformément aux recettes détaillées dans les traités de méthodo-
logie, de façon à aboutir tant bien que mal à ce que nous appelons
la connaissance scientifique et l'explication naturelle du phénomène»
Mais jamais elle ne s'aventurera à dire si Jacob eut tort ou raison de
prendre au sérieux le sentiment de transcendance qui faisait partie
intégrante du souvenir de son rêve, et de l'interpréter par la présence
de « l'Eternel » plutôt que par celle de Bahal, de Mercure ou de
toute autre divinité.
Le silence de nos auteurs sur la question philosophique de la
transcendance a pour compensation une attention d'autant plus
grande accordée aux problèmes relevant des méthodes empiriques.
On peut noter à cet égard dans leurs travaux un certain nombre
de caractères auxquels les études religieuses ne nous avaient guère
accoutumés jusqu'ici.
Digitized by VjOOQlC
12 Th. Flournoy
Et d'abord leur psychologie est physiologique, par où j'entends
le souci constant de rechercher toutes les conditions organiques des
phénomènes religieux, tant leurs conditions plus ou moins éloignées
d'âge, de sexe, de race, de tempérament, de santé ou de maladie,
etc., que leurs conditions immédiates, c'est-à-dire leurs corrélatifs
cérébraux. On devine que sur ce dernier point ses tentatives ne sont
couronnées que d'un médiocre succès et se réduisent le plus souvent
à dessiner des ronds et des lignes symboliques* : les processus
intimes de nos centres nerveux sont encore enveloppés de trop
d'obscurité pour qu'on puisse assigner avec quelque probabilité ce
qui se passe sous le crâne d'un saint en extase ou d'un pécheur à
l'instant de sa conversion ; et quand on a invoqué des changements
d'excitation et d'inhibition, statué une rupture d'équilibre des
énergies nerveuses ou leur transfert des centres inférieurs aux cen-
tres supérieurs, admis l'établissement de nouvelles coordinations,
tracé des voie*s d'association qui se creusent et d'autres qui s'oblitè-
rent, on n'est pas loin d'avoir épuisé le cycle des possibilités céré-
brales actuellement imaginables. Mais si ces tentatives de repré-
sentations anatomo- physiologiques sont forcément grossières et
inadéquates, capables donc d'induire en erreur les lecteurs irréfléchis
qui leur attribueraient une importance exagérée, elles accusent dii
moins une préoccupation absolument conforme à l'esprit général de
la psychologie scientifique, et ont leur pleine valeur comme jalons
signalant les lacunes de nos connaissances présentes et marquant la
direction des recherches futures. Nous ne nous berçons certes pas
de la naïve illusion que la physiologie cérébrale, même achevée,
rendrait compte de l'existence de la conscience religieuse; car en
vertu de l'axiome de dualisme psychophysique — de l'hétérogénéité
qui sépare le phénomène mental, non spatial, de son corrélatif
matériel, spatial — la connaissance parfaite du cerveau, en tant
* Il n'y a pas de limite tranchée entre les diagrammes qui sont de simples
représentations figurées des facteurs que l'introspection découvre dans un pro*
cessus psychologique complexe, et ceux qui sont déjà des dessins schématiques
des diverses parties du système nerveux avec leurs voies d'association, etc.
Tous ces moyens de parler aux yeux et de fixer provisoirement les idées ont
été très habilement utilisés par les psychologues américains pour éclaircir, par
une ébauche d'interprétation physiologique, nombre de phénomènes de l'ordre
moral et religieux, tels que le phénomène de l'impératif catégorique, la con-
version et ses diverses phases, l'influence du culte public sur la conduite, etc.
Voir principalement les figures de Leuba, The Psycho-physiology of the moral
Tmperative, American Journ. of Psychology, vol. VIII, p. 531 et 545 ; Starbuck,
The Psychology- of Religion, Londou, 1899, p. 84, 88, 110, 115,159, 253; Hylan,
Public IVorship, Chicago, 1901, p. 80. Etc.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 13
qu'organe physique, ne diminuerait en rien le mystère ultime qui
plane sur le pourquoi du fait psychologique; mais c'est du moins
maintenir ouverte la perspective d'un progrès concevable et des buts
accessibles, que dé toujours viser à traduire les données de l'intros-
pection en termes parallèles de mécanique nerveuse. Sans compter
que ce recours à des schémas plus ou imains géofnétriques devient
souvent une source de réelle clarté, en obligeant la pensée à une
précision d'analyse qu'elle n'eût pefut-étre.f>as atteinte sans cela.
Peu avancée pour Finstant en matière de physiologie cérébrale, la
psychologie religieuse tâche de se rattraper en notant d'autant phjs
minutieusement toutes les autres conditions, plus facilement abor-
dables, de l'apparition des phénomènes qu'elle étudie. Par là, elle
est à la fois génétique ou és^olutis^Sy en ce qu'elle considère la vie reli-
gieuse dans son devenir et sa dépendance vis-à-vis de tous les facteurs,
externes ou internes, qui peuvent influer sur son développement; et
comparée^ en ce qu'elle étend le cercle de ses investigations au plus
grand nombre possible d'individus et de milieux différents, afin de
mettre en lumière les ressemblances et les diversités de leurs expé-
riences intimes. Sous ce rapport, l'attitude des psychologues est
juste l'opposé de celle qui prévaut généralement chez les théologiens
Ceux-ci partent volontiers de la supposition tacite que l'expérience
religieuse obéit à un type unique, fixe, seul légitime et canonique-
ment autorisé, en dehors duquel les âmes font fatalement fausse route
pour aller se perdre dans les déserts de l'incrédulité ou dans la fange
des perversions morbides ; seulement ils n'ont, guère réussi à se
mettre d'accord sur ce processus religieux normal, au point, par
exemple, qu'un même phénomène, tel que la conversion brusque, est
tenu par les uns pour le fait central et indispensable de la religion,
par les autres, pour un symptôme alarmant de déséquilibre mental.
Les psychologues au contraire, dont le premier article de foi est le
respect des faits, ne voient pas de raison à priori pour que la diver-
sité des conditions humaines doive nécessairement se fondre dans
un seul et même moule d'expérience religieuse; aussi tous leurs
travaux tendent-ils bien plutôt à établir qu'il y a différentes formes
d'évolution intérieure, et à en mettre en relief les conditions détermi-
nantes. C'est ainsi que Starbuck a montré par ses enquêtes qu'on
peut rencontrer, dans les mêmes milieux, un type de développement
religieux avec conversion et un autre sans conversion (chacun se
subdivisant en divers sous-types) aboutissant d'ailleurs tous deux
essentiellement au même résultat, l'épanouissement d'une vie chré-
Digitized by
Google
14 Th. Flouhnoy
tienne également riche en fruits intérieurs et extérieurs*; et les
recherches à la fois statistiques et expérimentales de Coe* permet-
tent déjà d'attribuer en grande partie cette variété, dans la forme de
révolution religieuse, à des différences précises du tempérament
psychophysiologique. Si la psychologie statue ainsi des catégories et
une classification là où le théologien, insatiable d'unité, rêvait
d'écraser les diversités individuelles sous le rouleau compresseur
d'une formule dogmatique, elle découvre d'autre part des analogies
et des identités fondamentales là où on ne s'attendait guère à en
rencontrer : nous verrons, par exemple, à la suite de Daniels*, qu'il
existe chez les peuples sauvages des coutumes et des rites d'initia-
tion, à l'époque de l'adolescence, qui sont le pendant de l'instruction
et de la confirmation des catéchumènes dans les églises chrétiennes,
et qui montrent clairement que l'idée de la régénération, de la
nouvelle naissance, du passage de l'individu d'une vie inférieure et
égoïste à une vie plus haute et plus large comme membre d'un
organisme spirituel, est une idée universelle, profondément humaine,
répondant à un phénomène naturel de croissance et de transfor-
mation à la fois physiologique et morale.
Ceci m'amène à un quatrième caractère de la psychologie reli-
gieuse, que j'exprimerai en disant qu'elle est dynamique. Elle ne se
borne pas à décrire le contenu du sentiment religieux comme quel-
que chose de donné une fois pour toutes, d'immobile, de stable ;
mais elle envisage la religion individuelle comme un processus,
souvent très complexe et embrassant des facteurs hétérogènes, qui
se déroule au travers de phases diverses et trahit un jeu de forces
vivantes sous-jacentes. Ce caractère est manifeste dans les travaux
que Leuba a consacrés à la conversion, avec sa période prodromique
de troubles et de luttes, sa crise centrale -et son tournant décisif, ses
suites et ses conséquences plus ou moins permanentes. 11 éclate avec
plus d'ampleur encore dans le volume de Starbuck, inspiré d'un
bout à l'autre par le désir de mettre en lumière les « lignes de crois-
sances » que suit le développement religieux de l'individu, d'en
établir les rapports avec l'évolution générale de toutes les fonctions
^ Starbuck, The Psychology of Religion, an empirical study of the growth of
religious Consciousness, London, 1899.
* CoE, A study in the dynamics of personal religion. Psychological Review,
t. VI, 1899, p. 484. (Reproduit dans son volume The Spiritual Life, New- York,
1900, p. 104.)
• Daniels, The new life, a study of régénération. Amer. Journ. of Psych.,
t. VI. p. 61.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 15
psychologiques et physiologiques, et de démêler les forces ou ten-
dances vitales à l'œuvre dans ce développement.*
Tous ces caractères de la psychologie religieuse — physiologique,
génétique, comparée, dynamique (on pourrait les détailler et les
multiplier davantage encore) — empiètent les uns sur les autres et sont
si étroitement connexes qu'il me paraît plus simple de les réunir
sous une même idée, à savoir le principe de /'Interprétation Bio-
logique des phénomènes religieux. Cela veut dire que la religion
y est considérée et étudiée comme une fonction vitale, dont il s'agit
de déterminer les formes et les conditions de développement, les
variétés et les modifications tant normales que pathologiques* suivant
les sujets et les groupes, le rôle enfin, l'importance, les effets au
milieu des autres fonctions, dans l'économie de l'individu en tant
qu'organisme vivant et personnalité psychique tout ensemble.
Il
Je n'aperçois pas, dans la psychologie religieuse actuelle, d'autre
idée directrice assez générale pour vous la signaler dès cette intro-
duction. Mais les deux principes que j'ai relevés suffisent à vous
faire entrevoir combien l'angle sous lequel la religion est envisagée
par les psychologues, diffère du point de vue populaire et tradition-
nel. Pour celui-ci, elle est avant tout un système de dogmes qu'il faut
accepter et de pratiques auxquelles on doit se soumettre; en d'autres
termes, c'est un ensemble de vérités transcendantes proposées à l'in-
telligence, d'où elles sont censées, dans les meilleurs cas, gagner le
cœur pour y émouvoir les sentiments et déterminer la volonté, en
attendant de transformer l'individu jusqu'en son fond. Le psycho-
logue biologiste retourne en quelque sorte cet enchaînement et le
conçoit juste en sens inverse. Pour lui la religion est essentiellement
une disposition ou un processus intime de l'être organique et psy-
chique, une sorte de variation spontanée ou de poussée instinctive
* Leuba, a study in the psychoLog^' of religious phenomena. Amer, journ. of
Psych. vol. VII (avril 1896) p 309. — Starbuck, PsychoLogj' of Religion, 1899.
— Voir aussi les récents articles de Leuba sur les Tendances religieuses chez
les mystiques chrétiens (Revue Philosophique, juillet et novembre 1902)» où il
démêle dans le phénomène de l'extase la quadruple tendance à la jouissance or-
ganique, à l'apaisement de la pensée, à la possession d'un soutien affectif, et
à l'universalisation de l'action.
• Voir p. ex. Starbuck, loc. cit., chap. XIII (the abnormal aspect of con-
version), et MuRisiER, Ze5 maladies du sentiment religieux^ Paris 1901.
Digitized by
Google
16 Th. Flournoy
qui part des couches les plus profondes de Tindividualité et se mani-
feste par des phénomènes de l'ordre émotionnel et volitionnel,
lesquels, mettant secondairement en branle l'intelligence et l'imagi-
nation, y font naître des idées, des représentations, des notions
explicatives, plus ou moins adéquates, de ce que le sujet a ressenti
et expérimenté dans son for intérieur. Il en résulte que si les dogmes
et les concepts théologiques, issus de ce travail de réflexion s'exer-
çant après coup sur les données primordiales de la conscience
religieuse, conservent quelque valeur aux yeux de la psychologie, ce
n'est plus à titre de prétendues vérités absolues portant sur la
nature du monde invisible, comme le pense le vulgaire, mais c'est
seulement en tant que tentatives d'exprimer intellectuellement, de
traduire en images sensibles ou en notions discursives, des expé-
riences individuelles profondes et immédiatement vécues, mais qui
défient toute description exacte et restent incommunicables en leur
réalité concrète.
Vous me direz probablement que ces deux façons inverses de con-
cevoir le processus religieux, loin d'être contradictoires, sont
également vraies, mais concernent des cas différents. L'ordre admis
par le psychologue — qui va, d'une variation dans le fond ins-
crutable de l'individu, à ses expériences de vie intérieure, puis à
leur objectivation plus ou moins déformée par l'intellect — s'ap-
pliquerait à quelques rares et extraordinaires personnalités, fon-
dateurs de religions, chefs de sectes, ou humbles croyants mais
d^un tempérament original et primesautier, chez lesquels la vie
religieuse jaillit en effet comme une création géniale, sans filiation
évidente (ou même en opposition directe) avec les idées ambiantes,
et doit par conséquent se forger après coup sa propre expression
intellectuelle. D'autre part le point de vue courant resterait vrai de
la masse des fidèles, chez qui la religion, étant de prime abord
affaire d'imitation passive et d'enseignement reçu, doit forcément
entrer dans la tète par le canal de la vue ou de l'ouïe et traverser
l'entendement avant de pénétrer plus avant. Et la psychologie
aurait tort de se désintéresser de ce qui se passe dans le i>ulgum
pecuSy pour ne considérer que les natures d'élite ou les grands ini-
tiateurs, et ériger en règle générale, au mépris du cours ordinaire
des choses, un cas qui ne sera jamais qu'une infime exception. —
Cette remarque est fort juste en ce qu'elle insiste sur les énormes
différences de spontanéité et de profondeur qu'offre l'expérience
religieuse personnelle du haut en bas de l'échelle humaine. N'oubliez
Digitized by
Google
ITY )
f vNïVERSlTY 1
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 17
pas toutefois que, dans le grand troupeau lui-même, la religion ne
peut prétendre au rang de réalité existante tant qu'elle ne consiste
qu'en. affirmations dogmatiques, à fleur d'intelligence, ou en rites
accomplis par pure conformité sociale (pas plus que le sentiment
esthétique, par exemple, ne se réduit à savoir par cœur les définitions
du beau et à courir les concerts ou les expositions pour faire comme
tout le monde). 11 n'y a à proprement parler phénomène de conscience
religieuse, donc matière à étude pour la psychologie, qu'à partir du
point où les articles du catéchisme et les cérémonies extérieures ont
réussi à faire surgir des profondeurs de l'individu quelque chose de
personpel, émotions ou tendances, légères et fugitives tant que vous
voudrez, mais enfin vraiment ressenties, en contraste frappant, par
conséquent, avec l'impersonnalité froide des formules intellectuelles
et des pratiques machinales. Il en résulte que chez le simple fidèle,
comme chez le plus grand prophète, c'est seulement ce qui germe et
pousse du dedans, « ce qui sort du cœur de l'homme », — peu importe
d'où en soit venue la graine — qui constitue l'objet propre de la
psychologie religieuse. Quant aux idées dogmatiques, constructions
théologiques, et autres élucubrations que le cerveau brode sur ces
faits intérieurement donnés, le psychologue peut encore s'y inté-
resser, non qu'il y voie une connaissance objective de la nature
divine et du monde transcendant, mais parce qu'il y découvre comme
un reflet, ou un résidu intellectualisé, de certaines expériences
vitales et de processus intimes de la conscience humaine.
Au rebours donc de l'opinion qui fait de la religion une aff'aire in-
tellectuelle au premier chef, une sorte d'explication métaphysique
de l'univers*, la psychologie religieuse rejette ces produits de la pensée
spéculative à l'arrière-plan, comme secondaires et dérivés ; et les
seuls phénomènes qu'elle tienne pour essentiels et fondamentaux
sont les événements affectifs et conatifs — émotions, sentiments, as-
pirations, intuitions spontanées, désirs, tendances, eff*orts, révoltes,
détentes ou consentements intérieurs, luttes troublantes et trans-
formations de la personnalité, etc., — avec, bien entendu, les
* Comme exemple récent de cette opinion encore si répandue, on peut citer
la préface que Camille Saint-Saens a mise au livre de Recnault, Hypnotisme,
Religion (Paris 1897) : « Les religions ont eu pour premier mobile la recherche
de la vérité, le désir de tout savoir et de tout comprendre joint à l'impuissance
d'y parvenir... Qui dit religion dit croyance, c'est-à-dire acceptation d'une
vérité non démontrée, reçue comme telle sur une simple affirmation .. » Ce
point de vue intellectualiste, qui place l'essence et le centre de gravité de la
religion dans l'acceptation d'une vérité non démontrée, est aux antipodes du
point de vue biologique qui domine la psychologie religieuse actuelle
Digitized by
Goo^Çi
18 Th. Flournoy
processus encore plus profonds qui préparent et supportent, au-
dessous du niveau de la conscience, toutes ces expériences vivantes
dont le moi est le sujet (peu importe, pour l'instant, que vous
conceviez ces processus sous-jacents comme des faits de « céré-
bration inconsciente » ou de « conscience subliminale »). Cette
manière de comprendre la religion n'est du reste pas précisément
nouvelle. Vous la rencontrerez déjà dans nos vieux évangiles,
où une conception nettement biologique de la vie religieuse éclate
en nombre de paraboles et comparaisons tirées du monde organique
et spécialement du règne végétal. Elle se retrouve chez les mystiques
de tous les temps, auxquels elle a permis d'atteindre, pour leur
propre compte, à cette idéale séparation, dont les églises constituées
se sont généralement montrées incapables, entre la vie religieuse
vraiment vécue d'une part, et les systèmes dogmatiques régnants
d'autre part*. Cette même idée perce enfin chez d'illustres théolo-
giens modernes, qui ont fini par l'adopter et la proclamer en excel-
lents termes, témoin ce passage que je cueille, entre vingt autres
analogues, dans un des derniers écrits du regretté Aug. Sabatier :
« Le fond des dogmes et des symboles, c'est la réalité religieuse
elle-même, c'est le processus ç>ital (que crée l'Esprit infini et éternel,
se révélant) dans l'esprit de l'homme et dans les expériences mêmes
de sa piété. ^ » Les termes que j'ai mis entre parenthèses trahissent
le théologien, dont les spéculations philosophiques sur la cause
dernière du « processus vital », si excellentes qu'elles puissent être,
n'ont pas droit d'entrée dans notre science, en vertu du principe
d'exclusion de la transcendance ; mais retranchez ces quelques
mots, et la formule de Sabatier exprime parfaitement la manière
dont la psychologie religieuse envisage les dogmes et les symboles,
du point de vue biologique qui est le sien.
^ Comp. l'excelleQte remarque de Murisier (Arch. de Psych., t. I, p. 276) :
« Seuls jusqu'ici les mystiques ont réalisé l'union de l'esprit religieux et d'une
entière indépendance intellectuelle. Un mysticisme sain, accessible aux simples
puisqu'il délaisse les dogmes, susceptible pour la même raison de s'allier à
l'esprit scientifique le plus rigoureux, ne voilà-t-il pas la religiort la plus in-
dividuelle et la plus humaine à la fois ? ». — Voir aussi Récéjac, Essai sur les
fondements de la connaissance mystique, Paris 1897 ; ainsi que la récente con-
férence de BouTROux sur Le mysticisme , faite à l'Institut Psychologique Inter-
national le 7 février 1902. (Bulletin de l'Inst. Psych. Intern. janvier-février 1902,
p. 13.)
^ A. Sabatier. Essai d'une théorie critique de la connaissance religieuse.
Revue de Théologie et de Philosophie (Lausanne, 1893), t. XXVI, p. 235; Les
deux mots en italiques le sont dans l'original, mais les signes () sont de moi.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 19
III
Je ne me dissimule pas que, présentée comme nous venons de le
faire, la psychologie religieuse risque d'être vue d'un assez mauvais
œil dans deux camps opposés: d'un côté, chez ceux qui, tenant la
religion pour un domaine essentiellement surnaturel et sacré, ne
comprennent pas qu'on se permette de l'aborder avec Tindépendance
d'esprit, la sereine impassibilité, qui est le propre de l'attitude des
savants comme tels; et d'autre part, chez beaucoup de gens teintés
de fausse vulgarisation scientifique, lesquels s'imaginent bonne-
ment que le compte de la religion a été définitivement réglé par les
arguments de M. Homaiset les « découvertes de la science moderne ».
Ces derniers adversaires, pour commencer par eux, déploreront
sans doute qu'au lieu de s'employer à écraser l'Infâme, les psycho-
logues croient devoir lui faire les honneurs d'une investigation en
bonne forme, où elle court la chance de puiser un regain d'impor-
tance et un air de légitimité biologique. Je ne m'arrêterais pas à
discuter avec ces doctrinaires — métaphysiciens sans le savoir, ordi-
nairement d'autant plus prompts à pontifier au nom de la science
qu'ils l'ont moins fréquentée — si leur point de vue n'avait revêtu une
forme plus sérieuse dans la thèse qui fait de la religion, soit la simple sur-
vivance ou la réapparition atavique d'une phase de développement
humain aujourd'hui dépassée (ou qui devrait l'être), soit un phéno-
mène morbide et un stigmate de dégénérescence; deux opinions
susceptibles d'ailleurs de se combiner. Cette thèse, qui a de nom-
breux partisans dans les milieux médicaux, s'appuie sur le cortège
de superstitions grossières ou de cérémonies barbares que presque
tous les cultes ont traîné après eux, sur les nombreuses observations
de folie mystique recueillies dans les asiles d'aliénés, sur les aber-
rations maladives ou les perversions criminelles dont tant de sectes
ont donné le triste spectacle; bref, et d'une façon générale, sur
l'alliance assez ordinaire de l'exaltation religieuse avec des anoma-
lies ou des troubles psychopathologiques évidents.
Il s'en faut, toutefois, que cette union fréquente de la religion et
d'un certain degré de morbidité autorise une conclusion ferme
quant à leur rapport réel. Nous manquons encore d'informations
suffisantes pour décider si la concomitance de ces deux sortes de
phénomènes constitue plus qu'une coïncidence fortuite, et a vraiment
la valeur d'une règle générale. Puis, même en admettant que le fait
Digitized by
Google
20 Th. Flournoy
fût établi, il resterait encore à l'interpréter. On peut sans doute
supposer que les expériences religieuses sont la cause, ou l'effet, et
dans les deux cas une simple forme, du déséquilibre mental; mais
on peut aussi faire d'autres hypothèses également plausibles. —
Pourquoi, par exemple, les troubles morbides ne seraient-ils point
les conséquences accidentelles, quoique presque inévitables datis les
circonstances ordinaires de la lutte pour l'existence, de dispositions
particulières, telles qu'une extrême sensibilité, qui seraient les con-
ditions exceptionnelles requises pour des expériences intimes d'un
ordre supérieur, inaccessible à des organismes plus grossiers
mais en meilleur état de résistance aux frottements du milieu
ambiant? Il en serait alors de la vie religieuse personnelle comme
de toutes les manifestations du génie, dont l'union si souvent pro-
clamée avec la folie s'explique en somme, non par une identité de
nature, mais par la dépendance d'une condition commune, à savoir
une délicatesse spéciale de structure organique, qui expose l'indi-
vidu aux pires risques du même coup qu'elle le rend participant des
suprêmes privilèges. — Ou encore, à supposer que les phénomènes
religieux eussent une connexion nécessaire avec la pathologie et
restassent entièrement étrangers aux individus sains, cela prou-
verait-il qu'ils fussent eux-mêmes pathologiques? Dira-t-on, par
exemple, que les processus de cicatrisation des plaies, qui ne peuvent
certes s'appeler normaux puisqu'ils n'ont pas lieu dans l'état normal
d'intégrité corporelle, sont des processus morbides, alors qu'ils ont
justement la guérison pour fin? Or que savons-nous si, pareillement,
la religion expérimentée n'est pas au fond, comme le disait déjà le
Christ *, un processus curatif et régénérateur, dont on comprend dès
lors qu'il ne puisse se déployer que sur les terrains morbides? —
Vous le voyez, rien n'est plus aisé que d'opposer à la théorie patho-
logique, par laquelle on voudrait condamner la religion, d'autres
théories qui la justifieraient pleinement, même au point de vue pure-
ment biologique. Comment alors arriver à élucider ces questions si
complexes, où pullulent les faits les plus divers et en apparence les
plus contradictoires, sinon par une étude méthodique, impartiale et
rigoureuse, des phénomènes religieux individuels, de leurs condi-
tions empiriques, de leurs fonctions et de leurs conséquences —
autrement dit précisément par la psychologie religieuse? D'oùilres-
* « Ce ne sont pas ceux qui se porteul bien qui ont besoin de médecin, mais
les malades ; je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. »
Math. IX, 12.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 21
sort que la constitution de cette science est une étape nécessaire
pour ceux-là mêmes qui sont d'instinct et de parti-pris hostiles à la
religion; et ils devraient être les premiers à favoriser le seul genre
de recherche dont ils puissent espérer un jour la justification vrai-
ment scientifique de leur thèse favorite, laquelle jusqu'ici, pour être
du dogmatisme antireligieux, n'en reste pas moins — du dogma*
tisme*.
J'en viens maintenant à ceux qui redoutent de voir la psychologie^
non plus faire la part trop belle à la religion, mais au contraire lui
porter un coup fatal par cette manie de n'en considérer que le côté
biologique, en fermant les yeux sur son aspect théologique ou trans-
cendant. Ils ont peur que l'étude scientifique ne dissipe la sainte
auréole de la vie religieuse, et ne tue celle-ci sous le scalpel de l'ana-
lyse à outrance. Mais ces craintes me paraissent déplacées à de mul-
tiples égards.
Et d'abord, si les phénomènes religieux sont d'ordre biologique,
fondés dans la nature humaine, ce n'est pas de les étudier qui les
supprimera ^. La psychologie religieuse ne risque pas plus de
prendre la place de la religion que la connaissance des lois de la
digestion ne dispense les physiologistes de digérer pour leur propre
compte, aussi bien que le premier ignorant venu. — En second lieu,
il se peut à la vérité que chez tels ou tels individus l'investigation
psychologique, cultivée d'une façon trop exclusive et sans le salutaire
assaisonnement d'une pointe de philosophie pour en contrebalancer
la desséchante étroitesse, agisse comme un dissolvant de la vie reli-
gieuse personnelle (de même qu'on a pu voir des physiologistes
perdre le sommeil à force de l'étudier, ou devenir dyspeptiques par
l'excès de leurs travaux sur les fonctions de l'estomac). Mais ces dan-
gers, toujours possibles et souvent très réels, de l'intellectualisme
pour la vie intérieure ne datent pas d'aujourd'hui, en sorte qu'il serait
ridicule d'en faire un crime spécial à la psychologie religieuse à
peine née. Au moins faudrait-il être sur, avant de lui jeter la pierre,
* Voir la spirituelle et pénétrante critique du « matérialisme médical » par
James, Varieties of religions expérience, chap. I (Religion and Neurology).
' Comp. CoLviN, The psychological necessity of Religion. Amer. Jour, of
Psych. vol. XIII (janv. 1902), p. 80. Suivant lui, la religion, définie comme
sentiment d'absolue dépendance, ne pourrait être dépassée ou éliminée qu'à la
condition : !« qu'on supprimât tout mystère en rendant l'intelligence parfaite et
la connaissance absolue ; 2o qu'on enlevât du monde la souffrance, la mort et le
péché.
2*
Digitized by
Google
22 ÏH. Flournoy
qu'elle causera jamais plus de mal ou exercera de pires ravages
parmi les croyants que ne Font fait jusqu'ici les théologiens eux-
mêmes, avec toutes leurs querelles dogmatiques ! Et puisqu'il paraît
être dans la destinée de l'humanité religieuse de toujours perdre une
partie de ses forces en travail cérébral, purement intellectualiste, au
détriment de ses énergies émotionnelles et volitionnelles, il me
semble qu'autant vaut appliquer désormais cette dépense à l'étude
scientifique des phénomènes religieux et de leurs conditions empi-
riques, que de l'employer plus longtemps aux stériles discussions
théologico-métaphysiques du passé. — Enfin et surtout, il y aurait
évidemment un conflit sans issue entre la religion et la psychologie
si celle-ci supprimait ou niait les objets auxquels tient la première,
en les réduisant à de pures illusions de la conscience du sujet. Mais
nous avons vu que ce n'est nullement le cas: en ne s'occupant pas de
la question de la transcendance, la psychologie religieuse la laisse
précisément ouverte et l'abandonne intacte à la philosophie, ou à
l'appréciation personnelle de chacun.
Sans doute, si la psychologie physiologique pouvait nous rendre
logiquement compte du contenu de la conscience avec ses qualités
sui gêner is et ses coefficients de valeur, nous faire voir en vertu de
quelle nécessité mathématique ces caractères découlent du choc
aveugle des Atomes ou des transformations inconscientes de l'Ener-
gie, nous démontrer en un mot que toute expérience religieuse est
aussi inéluctable qu'illusoire dans un univers conçu à la mode des
sciences physiques, il est clair que la situation des âmes croyantes
serait à peu près désespérée et indéfendable. Mais nous n'en sommes
pas là et ne risquons guère d'y arriver. C'est une banalité aujour-
d'hui de vous rappeler que — de l'avis unanime de tous les penseurs
modernes, qui ont creusé le problème épistémologique et la nature
• de la connaissance scientifique, les Kant, les Aug. Comte, les Her-
bert Spencer et tutti quanti — la science , se mouvant dans les
limites du relatif et du fini observable, n'atteint pas aux dernières
raisons des choses, et que, même poussée aussi loin qu'on le peut
imaginer, elle n'arrachera point au Sphynx le mot de l'énigme uni-
verselle. Or, ce qui est vrai de la science en général ne l'est pas
moins de la psychologie religieuse en particulier. Elle ne nous four-
nit l'explication ultime de rien, dit par exemple Starbuck, et nous
ne visons pas à résoudre le mystère de la religion, mais seulement à
introduire dans ses phénomènes un ordre suffisant pour que notre
entendement puisse s'y retrouver et en éprouver quelque satisfac-
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 23
tion. * Tenez donc pour certain que, quel que soit le degré de perfec-
tion auquel arrive jamais la psychologie, elle restera toujours muette
quant à la solution des problèmes angoissants que nous posent l'Uni-
vers et la Vie, et n'empiétera point sur les droits imprescriptibles
des consciences religieuses — tant qu'il en existera — de façonner
conformément à leurs expériences et à leurs besoins, et sous leur
propre responsabilité d'ailleurs, leurs croyances suprêmes relatives
au dernier mot de la réalité et de la destinée.
J'ai dit « tant qu'il en existera », parce que de l'avenir de la reli-
gion sur cette planète nous ne pouvons naturellement rien affirmer
de scientifiquement sûr. Il serait, en effet, concevable que les âmes
croyantes se fissent de plus en plus rares et finalement dis-
parussent de notre globe, par généralisation à toute l'humanité
du type areligieux (quoique très moral d'ailleurs) que des observa-
tions récentes ont mis en lumière *, et dont vous rencontrerez faci-
lement des exemplaires plus ou moins purs autour de vous. Notre
race aurait alors abouti à l'état où nous voyons — ou croyons voir —
les sociétés animales les plus achevées, la ruche ou la fourmilière,
chaque membre d'icelles remplissant parfaitement son rôle dans
l'ensemble, sans plus de souci apparent d'un au-delà quelconque ou
du pourquoi des choses que n'en témoignent les diverses parties d'un
engrenage dans une des merveilles de notre horlogerie. Mais aussi
longtemps que ce stade de totale mécanisation ne sera pas atteint, il
restera sans doute des âmes que poursuivra le tourment de la vie
morale, et auxquelles, sous la pression des vicissitudes extérieures
et de leurs propres expériences intimes, il arrivera parfois de s'écrier
tout à coup comme Jacob : « Certainement l'Eternel est ici, et je ne
m'en doutais pas! » C'est vainement, alors, que les soi-disant
représentants de la saine raison leur allégueront les prétendues im-
possibilités philosophiques de l'existence du monde invisible et d'un
commerce personnel avec lui. A toutes les objections, l'âme reli-
gieuse, forte de ses certitudes intérieures autant que de notre igno-
rance finale, aura quelque réponse analogue à celle du mystique
Lavater : « Je conçois aussi peu la nature de mon âme que la manière
* « Science really gives a final explanatiou of nothing whatever... The end of
our study is not to résolve the myslery of religion, but to bring enough of it
into orderliness that it» facts may appeal to our understanding. » Starbuck,
loc. cit., p. 10-11
* Voir dans Leuba, The contents of religions Consciousness, le cas n» 14 et
■les intéressanles remarques dont l'auteur l'accompagne. Monist, vol. XI
(juillet 1901), p. 567-569.
Digitized by
Google
24 Th. Flournoy
dont la Divinité peut agir sur les Esprits. Si Dieu veut que je regarde
un sentiment comme son œuvre immédiate, il saura suffisamment le
distinguer de tous ceux qui naissent d'une manière naturelle. Cer-
tainement tout sentiment conforme à la vérité, qui me retrace plus
vivement mes rapports avec Dieu en Christ, doit, de quelque manière
que ce soit, avoir pour moteur Dieu... Je ne doute pas que ces senti-
ments (impuissance, néant, présence de Dieu, miséricorde sans bor-
nes de Christ, etc.), si conformes à la vérité, ne soient, de manière ou
d'autre, son ouvrage... » * Que voulez-vous répliquer à cela ? Que ces
sentiments, tout surnaturels qu'ils paraissent du dedans à Lavater,
ont une genèse organique, possèdent des corrélatifs physiologiques,
réclament une interprétation biologique, et trouvent toutes leurs
conditions empiriques dans l'hérédité, le tempérament, l'éducation,
l'état des viscères, les circonstances ambiantes, etc., etc.? Eh sans
doute, mais en quoi ce boniment scientifique touche-t-il au fond de
la question ? Lavater n'eût point nié ces causes secondes que nous
découvrons ou imaginons après coup, et dont la détermination est
précisément l'objet de la psychologie religieuse ; il eût simplement
fait observer que l'explication naturelle et scientifique d'un phéno-
mène ne nous rend jamais compte d'une façon absolue, logiquement
suffisante, de son existence ni de sa qualité, en sorte que rien n'em-
pêche qu'en définitive il ne soit d'une manière ou d'une autre, sui-
vant l'expression de Lavater, l'ouvrage de Dieu.
Assurément Lavater, comme Jacob, comme toute âme religieuse,
en voyant l'intervention spéciale de Dieu dans tel fait ou sentiment
déterminé plutôt que dans tout le reste de leur expérience, peuvent
se tromper; mais c'est leur affaire et non la nôtre. Assurément aussi,
en recourant au monde transcendant pour s'expliquer à eux-mêmes
un fragment particulièrement précieux de leur expérience interne,
au lieu de se contenter d'avance des conditions empiriques que la
méthode expérimentale ne manquerait pas de leur en fournir, ils se
placent complètement en dehors du domaine scientifique et de ses
lois ; mais quand donc et par qui l'interdiction d'en sortir a-t-elle
jamais été promulguée, et où sont les gendarmes chargés de main-
tenir de force dans le giron de la science les âmes qui préfèrent s'en-
voler par delà ses barrières, sur les ailes de leur caprice ou de leur
foi personnelle ? Si d'ailleurs vous jetez les yeux du côté opposé.
^ Lavater, Journal d'un observateur de soi-même (26 janvier 1769). Trad.
franc, Neuchâtel, 1843, p. 92-93. J'ai mis quelques mots en italiques.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 25
trouvez-YOUs qu'ils se montrent plus fidèles aux conventions préa-
lables et aux exigences rigoureuses de la méthode expérimentale,
tous ces bruyants coryphées d'une philosophie soi-disant scienti-
fique qui ne se font aucun scrupule d'ériger en principe premier,
tantôt la Matière, tantôt la Force, ou la Substance, l'Energie,
l'Axiome éternel, la Loi des phénomènes, etc. ? Et croyez-vous que
ces divinités modernes, pour être aveugles, sourdes, inexorables,
impersonnelles, inconscientes, et soigneusement expurgées de tout
ce qui pourrait dire quelque chose au cœur humain, croyez-vous
qu'elles en soient moins une élaboration de nos neurones cérébraux,
ou un produit subjectif de notre entendement, que l'idée de Brahma,
de l'Eternel, de Dieu, ou du Père céleste ? Non, certes. Reconnaissons
donc franchement que l'homme ne peut se retenir de faire de la
métaphysique et de concevoir, nécessairement au travers de sa pro-
pre nature et des catégories de sa pensée, la réalité qui le déborde
et l'enveloppe. Les différences d'opinions ou de croyances indivi-
duelles, sur ce point, tiennent au choix que chacun fait de telle don-
née de son expérience, plutôt que de tout le reste, pour y voir le
reflet, le symbole, la représentation, ou la révélation en lui, du « réel »
par excellence. Les uns ont plus de confiance dans les abstractions
de l'entendement, et croient échapper à l'anthropomorphisme en
s'élançant, comme l'enfant qui cherche à sauter par-dessus son
ombre, jusqu'aux concepts aussi évidés et raréfiés que possible
dont je vous ai rappelé quelques-uns tout à l'heure. Les autres — dont
je fais partie — éprouvent une incurable défiance pour ce sport ou
cet exercice intellectuel de pompe pneumatique, et c'est au contraire
la plus concrète et la plus pleine de toutes les catégories à leur dis-
position, celle de personnalité vivante et de moi conscient, qu'ils
adoptent comme la formule à leur sens la meilleure — ou la moins
inadéquate — de l'Etre en soi et du Fond des choses. La réalité vraie
de l'univers, pour les premiers, se résout en éléments impersonnels
et inconscients, atomes, forces, ou modes de l'énergie, — et pour les
seconds, en individualités et personnalités conscientes, âmes ou
monades spirituelles. Toutes les hypothèses métaphysiques ne sont
que des variations sur ces deux thèmes fondamentaux, et il ne semble
guère que l'homme, étant donnée sa nature, puisse jamais en inventer
d'autres. Ce n'est pas la psychologie religieuse qui y changera quoi
que ce soit. Après comme avant son avènement, les mêmes alterna-
tives se présenteront à l'esprit humain en face des mystères suprêmes,
et ce sera toujours à l'individu qu'il appartiendra en dernier ressort
Digitized by
Google
26 Th. Flournoy
d'opter en faveur de celle répondant le mieux à ses propres expé-
riences.
Laissez-moi aussi vous rappeler Fopinion d'un savant que nous
avions le privilège d'entendre ici même, il y a moins d'un an, et
dont nous déplorons aujourd'hui la perte cruelle et prématurée : je
veux parler de Léon Marillier, qui fut mieux que personne au
courant de l'histoire et de la psychologie religieuses, auxquelles il
avait consacré sa vie ainsi qu'à tant de nobles causes. Loin de
redouter que la constitution de la science — et même celle de la
morale indépendante — pût porter préjudice à la vie religieuse per-
sonnelle, il y voyait la condition la plus favorable pour le plein
épanouissement de cette dernière. Car en s'émancipant de la Religion,
la Science et la Morale la libèrent du même coup, et « pour la pre-
mière fois les âmes peuvent goûter dans sa pureté l'émotion reli-
gieuse, le sentiment de l'étroite communion avec le divin. » Marillier
prenait la conscience religieuse dans son essence caractéristique,
dégagée de tout ce que notre infirmité y mêle ordinairement
d'éléments étrangers. La religion, disait-il en effet, « ce n'est point
un ensemble d'affirmations dogmatiques, ni de préceptes moraux ;
c'est un ensemble d'états émotionnels, de sentiments et de désirs,
qui ont une originalité propre... Seule, la foi d'être unie à un divin
qui l'enveloppe et la dépasse, donne à l'âme ce sentiment de paix,
de joie intérieure, cette force et cette sérénité dont est imprégnée la
conscience de l'homme vraiment pieux. Dieu n'existe que pour ceux
qui croient en lui, tandis que l'algèbre ou la chimie sont vraies pour
tout le monde, mais pour l'homme de foi, rien ne saurait être plus
réel que ce Dieu dont est faite la trame même de sa vie, de ce Dieu
en lequel il a le mouvement et l'être...* » De tels passages montrent
bien qu'aux yeux de ce penseur la foi véritable n'avait rien à redouter
de l'étude scientifique des phénomènes religieux.
Vous voyez qu'au bout du compte les amis de la religion expéri-
mentée et vécue n'ont aucun motif de prendre ombrage de la psy-
chologie religieuse. Bien a^i contraire, car il me serait facile de vous
montrer, si le temps me le permettait, les inestimables avantages
qu'ils en pourront retirer, tant au point de vue théorique d'une con-
naissance toujours plus large et plus complète des processus reli-
* Marillier, dans son Introduction à la traduction française de l'ouvrage de
Lang, Mythes, Cultes et Religions^ Paris 1896, p. xxvii et suiv. — Marillier avait
donné deux conférences à l'Aula de l'Université de Genève, en février 1901.
Digitized by
Google
PSYCHOLOGIE RELIGIEUSE 27
gieux de la conscience humaine, que par les nombreuses applica-
tions qui en découleront dans le domaine de l'éducation individuelle
et collective.
Résumons-nous. — La psychologie religieuse, jugée d'après les
quelques travaux dont nous lui sommes déjà redevables, s'inspire
des deux principes généraux suivants :
1. Exclusion de la transcenda ne e, principe négatif et de défense,
pour ainsi dire, en vertu duquel — tout en enregistrant à titre de
données mentales les appréciations de valeur et les sentiments de
réalité transcendante dont les expériences religieuses s'accompa-
gnent dans la conscience du sujet — la psychologie s'abstient de
tout verdict sur la portée objective de ces phénomènes, et écarte de
son sein les discussions relatives à l'existence possible et à la nature
d'un monde invisible.
2. Interprétation biologique des phénomènes religieux, principe
positif et heuristique, en vertu duquel la psychologie envisage ces
phénomènes comme la manifestation d'un processus vital, dont elle
s'efforce de déterminer la nature psychophysiologique, les lois de
croissance et de développement, les variations normales et patholo-
giques, le dynamisme conscient ou subconscient, et, d'une façon
générale, les rapports avec les autres fonctions et le rôle dans la vie
totale de l'individu et, ensuite, de l'espèce.
Ainsi comprise, si la psychologie religieuse ne résout pas les ques-
tions dernières que l'homme s'est toujours posées à l'endroit de sa
destinée et du mystère des choses, elle tend du moins à éclairer la
spéculation philosophique en lui fournissant, sur les phénomènes
de la conscience religieuse individuelle, toutes les connaissances
accessibles à l'investigation scientifique; et, au point de vue prati-
que, elle apportera à la pédagogie, et à tous ceux ayant charge
d'àmes, des indications précieuses qui les mettront à même de faire
le plus de bien (ou le moins de mal) possible dans l'accomplissement
de leur tache.
. re H A R y^
""^ Cal
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
HENRY KÙNDIG, ÉDITEUR, GENÈVE
Libraire de l'INSTITUT
Archives de Psychologie
PUBLIÉES PAR
TH. FLOURNOY et ED. CLAPABÊDE
Prof»* extraordinaire Privat-Docont
à la Faculté des Sriencos de PUniversité de Genève.
TOME I, vol. broché de 424 p ï5 fr. '
TOME II (eji souscription) 12 fr.
Aux nouveaux souscripteurs du tome II, le tome 1 est fourni exceptionnellement
au prix net de fr. 12.
L.OS fai»eieale$i$ «lu Tonte V^^ se veii«leiit séparément :
No 1 (Juillet 1901). -— Th. Flournoy. Le cas de Charles Bonnet, hallucinations
visuelles chez un vieillard opéré de la cataracte. — A. Lkmmtre. Deux cas de
personnifications (avec 12 figures). — A. -M. Boubier. Les jeux de Tenfant pen-
dant la classe (avec 8 figures). — Ed. Claparède. Expériences sur la vitesse du
soulèvement des poids de volumes différents (avec 11 figures). — K. Fairbanks.
Note sur un phénomène de prévision immédiate. — Notices bihlic graphiques.
PRIX : Fr. 3.50.
No 2 (Décembre 1901). — Th. Flournoy. Nouvelles observations sur un cas de som-
nambulisme avec glossolalie (avec 21 figures). — Notices bibliographiques.
PRIX : Fr. 5.50.
No 3 (Avril 1902). — E. Murisier. La psychologie du peuple anglais et l'éthologie
politique. — E. Abramowski. La loi de corrélation psycho-physiologique au
point de vue de la théorie de la connaissance. — Ed. Claparède. L'obsession
de la rougeur. — Idem. Essai d'une nouvelle classification des associations
d'idées. — Notes et documents . — Notices bibliographiques. PRIX : Fr. 3, — .
No 4 (Juin 1902). — A. Lemaitre. Hallucinations autoscopiques et automatismes
divers chez des écoliers (avec 5 ligures). — M. Milliold. Le problème de la per-
sonnalité. — K. Fairbanks. Le cas spirite de Dickens. — Notices bibliographiques.
PRIX : Fr. 3.-.
Par suite d'un arrangement spécial entre les Directeurs et les Editeurs des
ARCHIVES DE PSYCHOLOGIE et de L'ANNÉE PSYCHOLOGIQUE,
une réduction de prix est offerte aux personnes souscrivant à la fois à ces
deux publications :
ARCHIVES DE PSYCHOLOGIE, tome II. j Ensemble 22 fr,
ANNÉE PSYCHOLOGIQUE, \III™« Yoliinie. \ Au lieu de 27^.
Souscrire directement (par mandat-poste, etc.), chez Kùndig, à Oenèvep ou
chez Schleichepp à Paris. — Les volumes et fascicules sont Qiwoyé^ franco déport
aux souscripteurs.
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
Digitized by
Google
AU iOOKS MAY U HECAUtO AfTIft 7 OAVS
RanewaTt oné R«ebcirg«t may b« mad9 4 dtvyt prior fo th» due dat»,
600 kl inciir b» Rei^ewod by calflng A42 3405.
S
f
DUE AS STAMPED BELOW
JUNQ7I991
>\
^
SÉntonill
MOV I 19M
U. C. BFRK
FEB M
ffm
\ NO. DDô
UNIVERSITYOFCALIFORNIA, BERKELEY
BERKELEY, CA 94720
®i
I,D ÎI-IOO"''''"^*
V
\
^>^
r
■t
' """"^îgîtfzed b\?
BL53
.16
FlQumo y I
~ liësnprlnQipee de Ir ^
paycno lo tjia rells ieuBe
Jan 20 1913 lluraber
MOV 3 19tg/^. t<^;^J^16 ^
v^jr
.y
> .
Ut^^
^%:rf
■,'-..